Annexe
3
Prédication de Bonhoeffer sur Apocalypse 14.6-13
Comment prêcher sur l’Apocalypse ? Plutôt que des principes abstraits, voici un exemple intéressant.
En 1935, alors que la pression nazie devient
énorme et qu’Hitler obtient depuis plusieurs années le contrôle de l’Eglise
Luthérienne, Dietrich Bonhoeffer devient le responsable d’un séminaire pour
prédicateurs à Finkenwalde sur la côte baltique. Le 24 novembre, jour de la
commémoration des morts, il y apporte le message suivant sur Apocalypse
14.6-13. [1]
Babylone :
craintes et espérance
Je vis.
Le rideau est tombé et Jean est capable de voir ce qui est caché à nos
yeux : le monde au-delà de la mort. Voici ce qui est clair : Ce
monde-là est tout sauf mort. Il est vivant au plus haut degré, plein
d’activités, plein de visages, plein de mots, plein d’agonie et de bénédiction.
Le monde au-delà de la mort vit pleinement. Ce n’est pas le néant, ce n’est pas
une disparition lente qui nous attend lorsque nous fermerons définitivement les
yeux. Ce qui arrivera est une rencontre inouïe. Personne n’est réconforté avec
des faux espoirs : la mort passera vite. Ou plutôt, disons : bientôt
tout commence, nous deviendrons plus sérieux, plus critiques de nous-mêmes.
Notre texte nous aidera à nous préparer pour cet autre monde. Comment
pouvons-nous, Chrétiens, peuple de Christ, apprendre à faire face à la
mort ? Voilà la question et notre texte donne la réponse. C’est un triple
message de joie venant de ce monde-là qui est proclamé aujourd’hui et qui nous
réconforte en ce dimanche de commémoration pour nous aider à faire face à la
mort.
Je vis un autre ange qui volait au milieu du ciel; il avait
un Evangile éternel, pour l’annoncer aux habitants de la terre. Où trouverons-nous aujourd’hui les
visionnaires qui peuvent voir l’ange de Dieu ? Ils ne sont plus parmi nous.
S’ils l’étaient, ils verraient les cieux ouverts pour révéler un monde nouveau.
Un ange parcourt les cieux avec l’Evangile éternel. Il appartient au ciel comme
il appartient à la terre, l’Evangile éternel. Il y a de la consolation ici pour
tous ceux qui croient : l’Evangile demeure. C’est un Evangile éternel, l’Evangile
que nous entendons, lisons, prêchons, dimanche après dimanche, l’Evangile qui a
transformé nos vies autrefois, lorsque nous l’avons compris pour la première
fois. Il est tourné en dérision par beaucoup, et jeté par terre. Cependant,
caché et chéri, confessé par des martyrs au travers des siècles, par des gens
sans nombre, l’Evangile demeure pour toute l’éternité. Nous n’avons pas à
craindre ou à nous inquiéter qu’un jour il sera abandonné, comme on en a
l’impression aujourd’hui. Que sont dix ans ou plus d’expériences et
d’observations ? L’Evangile est éternel et demeure malgré tout. Il demeure
l’unique vraie proclamation de Dieu et de sa Seigneurie sur le monde.
Bien qu’il y ait des milliers de religions,
d’opinions et de philosophies dans le monde, et bien qu’elles aient façonné les
idéologies les plus attrayantes, et bien qu’elles arrivent à émouvoir et à
convaincre les cœurs des hommes, elles sont toutes fracassées par la mort. Elles
devront être brisées toutes parce qu’elles ne sont pas vraies. Seul l’Evangile
demeure. Avant que vienne la fin, il sera prêché à toute nation, à toute tribu,
à toute langue et à tout peuple dans le monde entier. Même s’il peut sembler
qu’il y ait beaucoup de chemins, en fait, il n’y a qu’un seul chemin vrai pour
tout peuple sur la terre : l’Evangile.
Ce que dit l’ange est si simple que n’importe
qui peut le comprendre : Craignez Dieu et donnez-lui gloire,
car l’heure de son jugement est venue; et prosternez-vous devant celui qui a
fait le ciel, la terre, la mer et les sources d’eaux ! C’est le premier commandement de
l’Evangile. Craignez Dieu et vous
n’aurez rien d’autre à craindre. Ne craignez pas ce que pourrait apporter demain. Ne
craignez pas les autres. Ne craignez pas la violence et la force, même
lorsqu’elles vous atteignent et peuvent vous enlever la vie. Ne craignez pas
les puissants et les haut-placés de ce monde. Ne vous craignez pas vous-même.
Ne craignez pas vos péchés. Toutes ces craintes mourront. De toutes ces
craintes vous serez délivrés. Pour vous, elles n’existent plus. Mais craignez
Dieu et lui seul. Car il a le pouvoir au-dessus de toutes les puissances de ce
monde. Le monde entier craint Dieu. Il a le pouvoir de nous donner la vie ou de
nous détruire. Toute autre puissance n’est qu’un jeu. Seul Dieu est réel,
sérieusement réel. Craignez Dieu sérieusement et donnez-lui gloire. Il veut être reconnu comme Créateur, notre
Créateur; il veut être reconnu comme celui qui réconcilie, qui a fait la paix
entre Dieu et les hommes; il veut être reconnu comme le Rédempteur qui nous
libérera de tous nos péchés et de tous nos fardeaux. Honorez-le et honorez son
saint Evangile, car l’heure de son
jugement est venue. Et ce jugement est l’Evangile. L’Evangile est le juge
de tous les peuples.
En ce
jour du jugement, lorsque nous paraîtrons devant lui, que nous
demandera-t-il ? Dieu le Juge nous demandera une seule question :
As-tu cru et obéi à l’Evangile ? Il ne nous demandera pas si nous étions
Allemands ou Juifs, si nous étions national-socialistes ou non, si nous
appartenions à l’Eglise confessante ou non, si nous étions importants, si nous
avions de l’influence, si nous avons réussi ou non, si nous pouvons faire
valoir une vie bien remplie, si nous étions honorés parmi les gens ou ignorés,
sans importance, avec des échecs, sans avoir été appréciés. En ce jour, Dieu
demandera à chacun s’il a mis sa confiance dans l’Evangile afin de vivre. Seul
l’Evangile sera notre juge. Par l’Evangile, des âmes seront séparées dans
l’éternité. Si nous savons cela et si nous voyons comment l’Evangile est abusé
parmi nous, dans le monde et dans l’église, nous aurons une bonne raison
d’avoir peur. Alors, nous aurons besoin de voir cette première vision de Jean
et faire attention. Un Evangile éternel est proclamé éternellement à tous les
peuples, et il est le juge éternel de tous les peuples. Un Evangile éternel,
voilà la seule consolation qui demeure pour la communauté des croyants. C’est
là le message de joie pour tous ceux qui, cependant, devront mourir.
Un autre, un second ange suivit, disant : Elle est
tombée, elle est tombée, Babylone la grande, qui a fait boire à toutes les
nations du vin de la fureur de son inconduite. Jean a vu cela. Mais il a aussi vu
l’autre côté, lorsque Babylone était encore puissante, forte, grande. Il a vu que Babylone
se trouve ici, toujours invincible et que tous les peuples tremblent devant
elle et se prosternent devant elle. Babylone, l’ennemie de Dieu, la ville qui
n’arrête pas de construire ses tours jusqu’au ciel.
Babylone : l’Antichrist qui par sa propre
puissance défie le Seigneur crucifié, qui détruit les gens avec des paroles de
blasphème et de séduction, comme la prostituée qui enivre sa victime pour le
confondre et le séduire avec toutes sortes de splendeurs diaboliques. Babylone : idolâtrée et aimée par les peuples, inconscients que le piège se referme sur
eux. Babylone : qui n’aspire à rien d’autre que l’asservissement, le sexe et
l’ivrognerie, qui fait perdre la raison aux peuples et qui les conduit à des passions
sauvages. Qui oserait dire de cette Babylone qu’elle ne durera pas, mais
qu’elle tombera ? N’est-ce pas avec une certaine nervosité que les Chrétiens,
qui refusent d’être citoyens de cet état, et qui doivent vivre et souffrir
dehors, regardent cette cité de l’extérieur ? Quelles ne doivent pas être
leurs prières pour qu’elle tombe ! C’est quoi Babylone ? Etait-ce
Rome ? Et aujourd’hui ? Nous manque-t-il le courage de nous risquer à répondre
à cette question ? Pourquoi ? Parce que nous avons peur des
hommes ? Non, mais parce que l’Eglise n’est pas encore sûre. Cependant, elle voit des choses
affreuses qui commencent à se dévoiler. Mais voici qu’on entend la voix du
ciel, le message de joie pour la communauté des croyants : Elle est tombée ! Elle est tombée,
Babylone la Grande.
C’est déjà fait. Le jugement a déjà été rendu
par Dieu. Babylone est déjà condamnée. Elle ne peut tenir pour la simple raison
qu’elle ne se tient plus devant Dieu. Alors, ne craignez plus Babylone, car
elle ne peut plus vous faire du mal. Elle est déjà condamnée. C’est comme si
elle est déjà en flammes, comme si elle est déjà devenue poussière et cendres, comme si elle est déjà une ville
ruinée. Alors, ne la regardez plus comme une menace sérieuse. Ne soyez plus rongés
de haine ou d’envie devant elle. Tout est tellement transitoire, tellement
transitoire, sans plus aucun sens. Mais il y a d’autres choses pleines
de sens. Tenez fermes dans votre foi. Persévérez dans le Christ. Ne vous
laissez pas troubler par Babylone, soyez sobres et ne soyez pas vaincus par la
peur. Faites attention à la voix de Dieu qui dit : Elle est tombée ! Elle est tombée, Babylone la Grande. Seule
la voix du Dieu tout-puissant est importante et vraie. C’est elle qui vous
conduit à la vie. Quand Babylone sera détruite, la mort et le jugement seront
détruits également. Babylone est tombée, réjouissez-vous, communauté de
croyants ! Voilà le deuxième message de joie pour la communauté qui se
trouve face à la mort.
Un autre, un troisième ange les suivit, en disant d’une
voix forte : Si quelqu’un se prosterne devant la bête et son image, et
reçoit une marque sur le front ou sur la main, il boira, lui aussi, du vin de la
fureur de Dieu.
La bête est le seigneur de Babylone, l’homme de blasphème, l’orgueilleux, le
violent. Voilà le pire. La bête ne sera pas satisfaite tant que tout peuple ne
se soumettra pas à lui. Et même alors, il exige que tous soient marqués avec
son nom sur leur front et sur leur main. Ainsi, il est sûr qu’ils lui
appartiennent en pensée et en actes.
La bête
doit être adorée. Tout comme les Chrétiens se signent avec le signe de la
croix, la bête désire que tous ceux qui lui appartiennent se signent du signe
maléfique du blasphème. Ils prient la bête et disent : Qui est plus grand
et plus puissant que toi, la bête ? Qui peut te résister ? Qui a plus
de pouvoir ? Qui est davantage comme dieu ? Les noms de ceux qui
prient la bête ne sont pas inscrits dans le livre de vie. Ils ne sont pas
agréables à Dieu et à Christ, ne font pas partie des élus. Ils sont un
blasphème devant Dieu.
Il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu, versé
sans mélange dans la coupe de sa colère, et il sera tourmenté dans le feu et le
soufre, devant les saints anges et devant l’Agneau. La fumée de leur tourment
monte aux siècles des siècles, et ils n’ont de repos ni jour ni nuit, ceux qui
se prosternent devant la bête et devant son image, et quiconque reçoit la
marque de son nom.
La fureur de Dieu est un vin brûlant, sans mélange que le blasphémateur sentira
jusque dans la moelle de ses os.
Les choses mentionnées ici sont inexprimables
et affreuses au-delà de tout ce qu’on peut nommer. Rien de pire ne pourrait y
être ajouté. Comment un tel message peut-il être une source de joie pour
nous ? Tourmenté dans le feu et le soufre, devant les saints anges
et devant l’Agneau.
Dans leur tourment, ils doivent contempler le Christ qu’ils ont rejeté. La fumée de leur tourment monte aux siècles
des siècles, et ils n’ont de repos ni jour ni nuit. Ne nous réjouissons pas
devant de telles paroles, mais taisons-nous. Réfléchissons et disons :
“Dieu, aie pitié de moi qui suis pécheur et accorde-nous tous ton salut, toi
qui seul mérite l’honneur. Toi seul, tu es juste. Tu nous as donné la paix en
présence de nos ennemis. Toi seul es notre consolation et notre joie !”
Non,
devant le jugement terrible de Dieu sur le monde, nous n’éclaterons pas en cris
de triomphe, mais nous plaidons : Dieu, accorde la patience à tes saints
dans toute notre impatience. Accorde l’obéissance à ton Eglise selon ton
commandement d’aimer au milieu de toutes nos désobéissances. Accorde-nous la
foi en Jésus dans toute notre perfidie, de sorte que toi, quand tu viendras et
que tu entreras en nous et que tu nous soutiendras, tu puisses nous dire :
C’est ici la persévérance des saints, qui
gardent les commandements de Dieu et restent fidèles à Jésus. Dieu, tout
cela est de ta grâce.
Maintenant,
nous pouvons commencer à saisir le fait que, devant la tentation de
l’impatience et de la perfidie, et même de la haine, c’est une grâce de mourir,
d’être enlevés de tout ceci. Qui de nous sait s’il tiendra ferme ? Qui de
nous sait s’il résistera à la dernière tentation ? Alors, Heureux les morts qui meurent dans le
Seigneur, dès à présent ! Heureux
les morts. Nous devons comprendre que ce n’est pas par lassitude, parce que
nous sommes fatigués de la vie, mais que c’est la crainte de ne pas rester
fermes dans la foi jusqu’à la fin et la joie de savoir que nous mourrons dans
la grâce qui est exprimée ici. Heureux
les morts … dès à présent. Dès ce temps où le pouvoir de Babylone et de la
bête présume trop de lui-même. Mais ce ne sont pas tous les morts qui sont
heureux. Seulement ceux qui meurent dans
le Seigneur, qui ont appris à être prêts à mourir pour le Seigneur, qui ont
tenu fermes dans leur foi en Jésus jusqu’à la dernière heure, que ce soit en
souffrant un martyre public ou un martyre de solitude, cachés devant le regard
des autres. La promesse, la bénédiction pour les morts, la résurrection, tout
cela ne vise que l’Eglise de Jésus-Christ. Ceux qui lui appartiennent, et ceux
qui, séparés de l’Eglise peuvent se réclamer de la promesse, tombent dans les
bras de Dieu. Heureux les morts qui
meurent dans le Seigneur. Mourir en Christ. Notre prière aujourd’hui doit
être que la grâce nous soit donnée pour que notre dernière heure ne soit pas un
temps de fléchissement, mais que nous puissions mourir comme des Chrétiens qui
croient, que nous soyons âgés ou encore jeunes, que notre mort soit rapide ou
qu’elle suive après de longues années de souffrances, que nous soyons arrachés
du pouvoir de Babylone ou que nous partions dans le calme et doucement, que
notre dernier mot soit “Christ”.
Oui, dit l’Esprit, afin qu’ils se reposent de leurs
travaux, car leurs œuvres les suivent. Alors viendra le repos de nos
labeurs, de nos tribulations, de nos péchés, de nos tentations qui sont notre
lot aujourd’hui. Plus de crainte de faiblir ou de pécher, plus de crainte
devant le pouvoir de Babylone. Alors viendra le repos, parce que nous
reconnaîtrons le Christ comme notre Seigneur et nous le verrons. Leurs œuvres les suivent. Elles ne nous
conduisent pas à Jésus—cela est par la foi seule—mais les œuvres suivent,
celles qui ont été faites en Dieu, en Christ et pour lesquelles il nous a
préparés dès la fondation du monde. Ici-bas, nous l’ignorons. Ici-bas, elles sont
cachées. Elles sont les œuvres de la main droite, ignorées de la main gauche.
Mais elles demeurent avec nous, parce qu’elles nous appartiennent comme des dons
indélébiles de Dieu.
Seigneur,
enseigne ton Eglise à mourir, par ton Evangile. Accorde-nous la force de tenir
fermes jusqu’à ce que tu nous appelles. Nous voudrions contempler ton Evangile
éternel.
Amen.
Le texte se trouve en Dietrich Bonhœffer’s Christmas Sermons, édité et traduit par Edwin ROBERTSON, Grand Rapids, Mi : Zondervan, 2005, pp 108-118. La version originale se trouve en Dietrich Bonhœffer, Werke, Vol. 14, pp 911-918. Nous ignorons quelle interprétation Bonhœffer faisait de l’Apocalypse.